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Pyroscapes, une recherche sur les mégafeux, les incendies et pratiques de feux intentionnel en cours 





À l’Automne 2024 j’ai été artiste et designer chercheuse en résidence à la Villa Albertine de San Francisco pour faire une recherche sur les mégafeux, les incendies et les pratiques de feux intentionnels en Californie. 


“Vivre avec le feu plutôt que contre lui ! Je souhaite célébrer le récit dans lequel nous avons le pouvoir de remettre le feu au coeur de nos vies, afin de mener des actions directes et collectives contre les menaces du Pyrocène. Rechercher et raconter comment ces pratiques de feux intentionnels réunissent des stratégies d’alliance humaines et supra humaines, hybridan les disciplines, les compétences et les perspectives.”



Le projet que j’ai développé à San Francisco s’inscrit dans la continuité d’une recherche débutée en 2022 en Corse lors d’une résidence sur les fibres végétales et les ressources locales. Dans le cadre de mes recherches, je m’étais interrogée sur le potentiel de transformation par le feu, en relation avec les incendies estivaux (survenant de plus en plus souvent et intensément sur l’île et planétairement). J’avais alors étudié la symbolique du feu dans les cérémonies, la religion, les croyances païennes, l’environnement, l’activisme, l’écoféminisme, et utilisé le feu pour fabriquer des fusains locaux et des émaux de céramiques avec des cendres végétales. J’avais rencontré des scientifiques et des écologistes, des bergers et des personnes qui pratiquent les brûlages contrôlés au niveau local.

Ces brûlages font partie de traditions que les communautés vivant dans les biotopes dépendants ou adaptés au feu ont toujours pratiqué. Il s’agit d’un ensemble de techniques d’entretien qui consiste par exemple à allumer un feu dans une forêt dans des circonstances spécifiques et favorables, de manière à brûler le combustible accumulé, empêchant ainsi les arbres et les branches tombés d’alimenter les futurs incendies de forêt qui deviendraient alors trop menaçants. Ces techniques préventives sont bénéfiques pour la biodiversité et constituent une méthode reconnue de gestion des forêts. Ces traditions sont également le témoin de relations mutuelles avec l’environnement, de pratiques holistiques inspirantes et sont particulièrement présentes en Californie.

Lors de ma résidence à San Francisco, j’ai étudié les pratiques intentionnelles de feux contrôlés, de feux prescrits et de feux culturels en Californie, comme un contrepoint aux mégafeux de l’ère du Pyrocène. Il s’agit de l’ère géologique définie par Stephen Pyne et développé par Joëlle Zask, dans laquelle le feu le plus présent de notre époque est d’origine humaine -sous la forme de la combustion d’énergie fossiles- et où son impact sur la terre et sa géologie est considérable.

Pour cela je suis allée à la rencontre de scientifiques, de différentes communautés de firelighters, d’artistes et d’activistes afin de d’en appréhender les nuances et les complexités historiques.

Les questions posées au fil du projet ont évolué : Quelles sont nos relations avec le feu? Qu’entraîne pour nous la disparition d’un paysage? Comment mieux comprendre et faire connaître les connaissances traditionnelles écologiques indigènes et les actions des communautés de feux intentionnels? Comment sortir de la dichotomie entre les politiques de guerre contre le feu et de préservation d’une nature romancée et sanctifiée, afin d’évoluer vers des pratiques d’entretien, d’hybridation et de cohabitation décoloniales? Comment le « bon feu » soigne-t-il à différents niveaux les traumatismes qu’un incendie peut laisser dans un écosystème et chez les humains ? Comment ces feux agissent aussi comme réparation suite au génocide amérindien ? Par quels moyens construire un réseau d’acteur.ice.s formé.e.s et habilité.e.s à conduire des feux contrôlés en sécurité et nombre suffisant ? Comment apprendre de ces « good fire practices » californiennes pour faire évoluer notre rapport au feu en Europe et en France sans perpétuer les procédés coloniaux d’extraction et d’instrumentalisation de savoirs? Comment faire évoluer nos imaginaires, empreints d’images catastrophiques, et nos quotidiens, médiés par de nombreux feux fossiles et invisibles pour laisser au feu la place qu’il mérite et dont nous dépendons ?



Les communautés natives de Californie pratiquent le feu contrôlé et culturel depuis toujours. Leurs connaissances écologiques traditionnelles sont l’un des facteurs qui expliquent que la Californie était un écosystème diversifié, abondant et équilibré avant l’arrivée des Européens. Néanmoins, dans la perspective industrielle eurocentrique, productiviste et coloniale du XIXe siècle, les feux culturels étaient considérés comme naïfs et dangereux, un gaspillage de ressources précieuses. C’était avant tout un des outils principal de souveraineté des communautés indigènes sur leurs terres. Il a été violemment interdit, les connaissances traditionnelles ont été discréditées, les forêts ont été surexploitées selon des modes de monoculture intensives et les feux (naturels ou humains), combattus à tout prix dans le cadre de politiques de « zéro feu ».

Aujourd’hui, nous vivons avec effroi l’une de ses repercussions: le phénomène des mégafeux. Imprévisibles, incontrôlables et extrêmement intenses, ils consomment chaque année d’immenses superficies de forêts, rasent aussi des villes. Considérés comme l’une des catastrophes climatiques actuelles les plus violentes, ils sont à la fois une cause et une conséquence du dérèglement climatique. Un des symptômes de l’Anthropocène. Paradoxalement, le feu (contrôlé, prescrit ou culturel) est une solution directe pour prévenir ces mégafeux. La Californie, région particulièrement touchée par ces derniers est pionnière dans l’étude du phénomène, retrouve et développe aujourd’hui les techniques de feux maîtrisés héritées des communautés amérindiennes, les mettant en pratique et en réseau.

Ainsi, j’ai utilisé le feu comme sujet, outil, métaphore et porte d’entrée dans ce domaine pour rencontrer et travailler avec des scientifiques, des écologistes, des spécialistes des traditions écologiques native, des sinistré.e.s d’incendies, des communautés de firelighters, d’artistes et d’activistes. J’ai pris part à des formations en feux contrôlés (TREX), exploré de nombreuses « burn scars » (traces d’incendies passés), visité des parcs naturels, des quartiers calcinés, des laboratoires et ateliers d’artistes, et participé à un feu culturel (avec TERA). Développant un partenariat avec le Californian College of the Arts, j’y ai été artiste invitée pendant mes trois mois de résidence, développant des expérimentations dans les ateliers de céramique, de métal, de textile et en vidéo. Ces recherches de terrain ont été présentées lors de l’exposition et tableronde « Pyrogatherings #1: VISITING FIRE » préfigurant une série d’évènements et d’échanges pluridisciplinaires autour de la question du feu, à développer en Californie et en Europe. L’aspect radicalement collaboratif, social et engagé dont les pratiques de feux intentionnels dépend alimente mon engagement créatif et les modalités dans lesquelles je souhaite faire projet.

Vivre avec le feu plutôt que contre lui ! Je souhaite célébrer le récit dans lequel nous avons le pouvoir de remettre le feu au coeur de nos vies, afin de mener des actions directes et collectives contre les menaces du Pyrocène. Rechercher et raconter comment ces pratiques de feux intentionnels réunissent des stratégies d’alliance humaines et supra humaines, hybridant les disciplines, les compétences et les perspectives.







Projet porté par laVilla Albertine San Francisco. Avec le support de la Fondation Bettencourt Schueller, la Fondation de l’Université de Corse, et le Californian College of the Arts. 
Photos: (c) Garance Maurer






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Plus sur le feu... 


Article pour Robida Magazine #10 Correspondences, publié en Août 2023 : 
“Pyro-conversations With Friends: tending bonds, knowledge, lands and flames”
GARANCE MAURER IN CONVERSATION WITH ELISE BOUTIÉ, TONÌ CASALONGA, ALICE CUENOT, DANIEL PARNITZKE, CLUB DE BRIDGE, ALONA RODEH