︎︎︎ Page en cours de construction
La résidence Fabbrica Design 2022 sur le thème des fibres végétales sera pour moi l’occasion de mener un projet de recherche-action mêlant un travail de terrain poussé, des explorations autour de la matière en continuation des thèmes de mon travail, à faire résonner avec les spécificités du territoire insulaire Corse accueillant cette recherche.
Mettre en place des protocoles d’observation et
de création proche du design ethnographique et de l’anthropologie ; aller
à la rencontre des humains et non-humains d’un territoire ; sentir et
devenir cet écosystème ; regarder et comprendre l’endroit que l’on découvre ou
redécouvre, sont selon moi les fondements de toute intervention créative. C’est dans un
La thématique des fibres végétales vient entremêler
mes questionnements sur l’habiter et sur les procédés textiles. Ce lien vient en
effet, nourrir une recherche que je mène depuis plusieurs années, dans laquelle
je considère le textile comme un outil de construction formelle et symbolique
privilégié.
À l’heure de questionner nos façons d’habiter
et ce qui compose nos environnements intérieurs comme extérieurs, la place du
textile apparaît comme centrale. De nombreux aspects de nos vies convergent
vers lui : il nous réconforte et nous protège, nous habille et nous
représente. Il peut être considéré comme la première solution que l’humanité a
mis en place pour survivre, en tressant des toits, des habits ou des paniers
avant même de faire du feu, de cuire des aliments ou de compter (voir Gottfried Semper et Tim Ingold). Comme une extension de la peau, le textile est une
barrière supplémentaire, et mobile, qui permet de s’adapter aux évènements
climatiques potentiellement hostiles : plus ou moins de protection
thermique, d’ombre ou d’abri contre la pluie. Les humain.e.s s’adaptent aussi à
l’environnement via le textile, et ce, en tant qu’individu ou collectif. Telle
une membrane qui marque les espaces intérieurs ou extérieurs, comme une peau
contient un corps : des tissus tendus ou déposés peuvent marquer les
limites entre un chez-soi et des espaces partagés, publics. Intimement lié à la
question du langage, le tissage est aussi pour moi un outil de construction de
sens et participe à l’écriture de l’histoire intime et commune : les mots texte et textile sont étymologiquement liés, en latin par exemple où le x de textus incarne l’entrelacement des
fibres entre la chaine et la trame. Aller à la rencontre de celles et ceux qui récoltent
les fibres, les travaillent, les tressent et les tissent, c’est donc raconter
un sous-texte généralement relayé à la sphère du travail domestique.
À propos de la
construction textile, comme l’explique Anni Albers dans son texte On Weaving, la combinaison entre la
fibre et les armures de tissage permet d’influencer les propriétés de l’un ou
de l’autre en les confirmant ou au contraire en les effaçant. Ainsi, une fibre
rigide et cassante une fois posée en trame pourra devenir souple et résistante,
modifiant ainsi ses qualités inhérentes. Au contraire, une fibre douce et
gonflante, travaillée en toile avec une contexture élevée aura un aspect ou un
toucher plus rigide et sec. Les nombreuses étapes de transformation apportent
la possibilité d’aller dans un sens ou l’autre, démultipliant ainsi le champ
des applications. Par ce premier aspect du tissage, je vois le textile comme
une réponse particulièrement intelligente et inclusive, permettant de construire
une matière qui s’adapte aux reliefs des choses de la vie. Utilisant un système
binaire simple (pouvant se complexifier), il embrasse la différence de chaque
élément pour ne former qu’un tout, résilient. Aussi, en comparaison à d’autres
types de mise en forme, la construction textile est douce. Au-delà du toucher
d’un tissu, sa douceur est proche d’une posture sensible à l’environnement,
social et écologique. Utilisé sous ce prisme, il se transforme en moyen de résistance.
En effet, pour travailler le bois nous coupons, nous taillons dans la matière (avec
des objets tranchants, nous créons d’ailleurs une part non négligeable de résidus).
Pour travailler le métal ou le verre, nous devons les chauffer, mettant ainsi
en œuvre des procédés très énergivores et opérant des changements de formes brutaux.
La création textile, elle, ne demande qu’à ordonner des matériaux déjà
existants, sans opérer de changement d’état majeur : par l’ordre, la
tension et la patience nous créons des surfaces souples et adaptables. C’est
particulièrement cette posture d’intelligence du « faire avec ce qu’il y a
là » et d’apporter ce soin de l’arrangement et de la tension -ou
l’attention- que je souhaite défendre dans mes projets.
Concernant la vannerie,
technique centrale pour cette résidence sur les fibres végétales, la lecture du
texte La théorie de la fiction panier d’Ursula K. Le Guin 1986, autrice féministe américaine, sera mon point de départ,
rejoignant mes recherches sur les origines du tissage. « Le premier équipement culturel a probablement été un récipient […] de nombreux théoriciens ont le sentiment que les premières inventions
culturelles furent forcément d’une part un contenant destiné à recueillir les
denrées collectées et puis une sorte d’écharpe de portage. C’est ce que
dit Elizabeth Fisher dans Women’s
creation (McGraw-Hill, 1975).
Mais non, c’est impossible. Où est cette chose merveilleuse, grande, longue et
dure, un os, je crois, avec lequel l’homme-singe du film cogne quelqu’un pour
la première fois […] ? Je ne sais pas. Je m’en moque. Je ne raconte pas
cette histoire. Nous l’avons entendue, nous avons tout entendu à propos de tous
les bâtons, de toutes les lances et de toutes les épées, de toutes les choses
avec lesquelles on peut cogner et piquer et frapper, de toutes ces choses
longues et dures, mais nous n’avons rien entendu à propos de la chose dans
laquelle on met des choses, à propos du contenant de la chose contenue. Ça,
c’est une nouvelle histoire. Ça, c’est de la nouveauté. »
Ainsi,
mes explorations en territoire Corse, appliquées à comprendre les temporalités
marquées de l’écosystème insulaire, la gestion de la biodiversité de l’île
comme patrimoine naturel et comme ressource locale, les traditions
architecturales, artisanales, culturelles et populaires suivront également
les balises de cette recherche transverse. Les réalisations rencontreront très
certainement les notions du soin et de l’entretien (soin du corps, de la
maison, de l’environnement, de l’esprit d’un lieu et de la mémoire) et pourront
prendre la forme d’objets vecteurs de symboles et activateurs de rituels. Nos sens,
activés par la végétation et le climat de l’île, seront mis à l’honneur. Les
gestes de mise en forme rejoindront les fonctions d’usages. Les matières seront
diverses et généreuses : plantes entières, travaillées ou rebus, elles
seront toujours locales. Les collaborations et hybridations seront nombreuses,
entre naturale, flessibile/rigidu, cunfruntà et innuvà, thèmes centraux de l’esprit Fabbrica Design. Les
expérimentations et les rencontres se mettront au service d’un patrimoine
matériel et immatériel local au travers de moyens de production éthiques et
innovants.
Édition #8 de Fabbrica Design, soutenu par la Fondation de l’Université de Corse,
en partenariat avec Natalina Figarella (artisane vannière), L’Astratella (distillerie d’huiles essentielles) et le Conservatoire Botanique National de Corse.
Recherches en cours
Cueillette
Rencontres
Recherches